Lors de sa mission en Indochine en 1953, Claude Cheysson revient sans cesse sur la nécessité de repenser la présence française au Vietnam afin d’engager une rupture avec le passé et d’agir autrement et rapidement. Il enfonce le clou dans un document daté du 20 juin 1953 destiné à Paul Reynaud qui lui demande conseil ; c’est une vision prémonitoire qu’il expose : « que nous soyons obligés de continuer le combat, ou qu’il soit possible, un jour, de traiter avec le Vietminh, il convient tout d’abord de donner au Vietnam une indépendance éclatante »
écrit Claude Cheysson. Le mot tabou – indépendance – a été prononcé. Il précise qu’il faut « mener cette politique avec audace et énergie ». Cette dernière phrase reviendra, telle une loi d’airain de son action dans les fonctions qu’il occupera plus tard.
Les critiques à son égard deviennent particulièrement acerbes, surtout des milieux coloniaux tout occupés à leurs trafics en tout genre, lorsqu’il soutient la dévaluation de la piastre et l’établissement du contrôle des transferts de monnaie décidés par le Gouvernement de Nguyen Van Tam qui se trouve obligé, au final, de se séparer du jeune fonctionnaire. Pour couper court aux insultes, Claude Cheysson prend une décision incroyable qu’il qualifiera de « très épidermique ». Un coup de tête : « Je veux manifester mon désaccord, raconte-t-il, et je le fais de manière absurde en me faisant rappeler en activité. Je profite du fait qu’ayant été dans la division Leclerc, j’ai des relations auprès de l’état-major et, que par conséquent, on peut faire cette chose tout à fait surprenante qui est de rappeler un fonctionnaire français qui se trouve en activité à l’autre bout du monde. Je suis affecté à un groupe mobile et la chance veut que je sois envoyé dans une région particulièrement agitée. » À l’automne 1953, il participe à l’opération « Mouette » dans la région de Phu Nho Quam au sud du delta du fleuve Rouge, en plein territoire ennemi, afin de neutraliser les divisions Vietminh 304 et 320. C’est lors de ces combats que le capitaine Claude Cheysson se trouve en face du colonel Nguyen Co Thach, futur ministre des Affaires étrangères de la République socialiste du Vietnam. Trente ans plus tard, ceux, qui se combattaient se retrouvent à Hanoï, soit à quelques dizaines de kilomètres de leur champ de bataille, pour évoquer avec une réelle émotin ce passé et ainsi établir de véritables relations de confiance, et même une relation d’amitié. À la fin de sa vie, Claude Cheysson revenait souvent sur cet engagement. Il l’abordait aussi d’un autre point de vue. Nombre de ses camarades de la 2e DB avaient rempilé dans les guerres coloniales. Lui, y était farouchement opposé. Mais en même temps, il tenait en haute estime certains d’entre eux, et il ne voulait pas qu’ils pensent que ses prises de position sur l’indépendance du Vietnam fussent, en soi, une forme de lâcheté face à cette guerre. Il a donc repris du service brièvement pour apporter la preuve de sa fidélité. En fait les deux versions de ce retour vers les armes ne sont pas contradictoires.
Journal de campagne:
19 au 25 octobre 1953
26 octobre au 1er juin 1953
2 au 7 juin 1953