En 1957, Charles Frappart, André Valls et Claude Cheysson rédigent un dossier intitulé « Quelques données du problème algérien » destiné à certain nombre de personnalités, dont le Général de Gaulle. Le Monde en obtient copie et en a fait état un peu plus tard dans une pleine page (ce qui a ajouté au scandale et a valu à Claude Cheysson une sanction immédiate) :
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Quelques données du problème algérien
par Claude Cheysson
Vers la fin de 1956, Charles Frappart, André Valls et moi – qui nous étions liés au Viêt Nam en 54-55 – avons décidé de diffuser un « dossier » marquant objectivement que « l’intérêt bien compris de la France » ne comportait pas le « maintien à tout prix de la souveraineté de la France sue l’Algérie ». Ce dossier, « Quelques données du problème algérien », est daté de juin 1957 ; nous l’avons envoyé sous plis personnels à un certain nombre de personnalités, dont le Général de Gaulle. (Le Monde en a eu une copie par je ne sais quelle voie et en a fait état un peu plus tard dans une pleine page, ce qui a ajouté au scandale et m’a valu une sanction immédiate). À une date que je ne me rappelle pas, vers la fin de 1958, donc quelques mois après son retour au pouvoir, le Général de Gaulle a fait venir à l’Élysée un des auteurs, Frappart ou Valls, (j’étais en exil au fond de l’Afrique noire) et lui a dit très simplement : « bien sûr vous avez raison ».
En avril 1962, j’ai été convoqué par le Général, qui m’a reçu en tête à tête — seule fois de ma vie où je l’ai ainsi rencontré —. Cela a été bref : « Après ce que vous avez écrit sur l’Algérie, vous devez être bien avec ces gars là ! Alors, je vais vous nommer à la succession de Guichard, l’OCRS devant devenir, en application des Accords d’Évian, un Organisme franco-algérien, chargé de toutes les responsabilités pour le pétrole et les autres ressources du sous-sol saharien ». C’est ainsi que je suis devenu Directeur Général de « l’Organisme Saharien », qui, pendant plus de 4 ans, a sauvegardé une position française privilégiée dans ce domaine, tout en permettant aux Algériens d’apprendre le pétrole. Et notre action a été suivie directement, attentivement par l’Élysée.
L’intérêt porté personnellement par le Général à ce secteur, plus généralement à la mise en valeur des concessions arrachées aux Algériens au Sahara est illustré par une démarche très étrange dont j’ai été chargé auprès de Ben Bella, démarche qui n’a jamais été publiée : Peu avant mon départ pour Alger, en juillet 1962, Guichard à l’Élysée m’a donné pour instruction de voir Ben Bella, sans témoin, et de lui dire, de la part du Général personnellement, que « le jour où il estimerait que les dispositions des Accords d’Évian sur le pétrole étaient insupportables, il devrait le faire savoir directement et discrètement au Général » et que « celui-ci s’engageait personnellement à en proposer l’abrogation dans les trois mois ». Cette communication au Chef de l’Exécutif algérien devait, m’a dit et répété Guichard, rester strictement confidentielle ; personne n’en étant informé ni à Paris, ni à Alger. Étrange, mais bien intelligente manœuvre. Je suis convaincu qu’elle explique en partie le fait que les Algériens aient retardé de plusieurs années le rétablissement de leur pleine souveraineté sur leur principale ressource, les hydrocarbures. Manœuvre bien caractéristique, en tout cas, du Général ; et qui a bien servi les intérêts français en donnant quelques années à l’industrie pétrolière française pour se placer aussi ailleurs dans le monde.
Paris, janvier 2000