Par Stéphane Hessel.
De tous les Français surdiplômés sortis jeunes de la Résistance, quelques-uns seulement ont saisi le sens de l’évolution de l’Histoire de France. Elle devait prendre acte de la défaite brutale de juin 1940 pour engager une orientation différente. Si la victoire de 1945 lui assurait une place comme membre permanent du Conseil de sécurité, elle ne l’autorisait pas à poursuivre les fastes de l’empire colonial et l’obligeait à chercher sa place parmi les constructeurs de l’Europe.
Plus et mieux que quiconque Claude Cheysson a porté ce destin. Au Vietnam d’abord, où la connaissance approfondie que ses contacts personnels avec les dirigeants de ce pays ont fait de lui un des plus précieux collaborateurs de Pierre Mendès-France lors des négociations périlleuses de Genève en 1954. En Afrique subsaharienne ensuite, dont il a compris les aspirations à un vrai développement lui donnant la maîtrise nécessaire des rapports de coopération entre l’Europe communautaire et les pays ayant obtenu leur indépendance.
J’ai eu la chance de l’avoir pour ministre lors de la venue au pouvoir en 1981 de François Mitterrand. À cette date, n’ayant eu de poste à me confier après la fin de mon mandat d’ambassadeur auprès des Nations unies à Genève, il m’a fait nommer Ambassadeur de France, une dignité que je conserverai jusqu’à ma mort. Mais il m’a aussi chargé d’une mission impossible : convaincre les responsables de l’île de Mayotte dans l’Océan indien qu’il était de leur intérêt d’accéder avec les autres îles des Comores à l’indépendance. Bien vite, je me suis rendu compte que l’hostilité entre eux et la Grande Comore était trop forte et que l’attrait de rester dans l’orbite française l’emporterait.
Mais c’est à Alger, entre 1964 et 1969 que j’ai vraiment eu en Claude un guide et un camarade, je peux dire aussi un véritable ami. J’y étais chargé auprès de l’ambassadeur Georges Gorse, de la coopération administrative, économique et culturelle, alors que Cheysson avait accepté de partager avec le ministre algérien, Lamine Khene, la direction de l’OCI (l’office de Coopération industrielle) qui donna à la jeune république les moyens cruciaux de son développement.
Nous en parlions dans les excursions que Cheysson organisait au cœur du Sahara algérien, convaincu que le développement d’une vraie coopération allait donner un essor bienheureux aux deux rives de la Méditerranée. Claude Cheysson nous a quittés à un moment où sa compétence nous eût été plus nécessaire que jamais. Ce grand ami me manquera.