Archives de catégorie : témoignage

Claude Cheysson à l’X

Témoignage de Serge Delwasse
Serge Delwasse est un ancien de l’école polytechnique (X86). Il anime aujourd’hui la petite communauté des membres de la khômiss. Il rassemble souvenirs et anecdotes sur l’école.

Outre l’admiration et l’affection profondes que Claue Cheysson avait su générer auprès de ceux qui l’ont connu, j’en ai retenu que c’était un « rebelle ».

Claude Cheysson était polytechnicien. Il n’était d’ailleurs, semble-t-il, pas très attaché à l’Ecole. Mais, lors de sa scolarité, il était ce qu’on appelle, « Géné de khômiss » ou GénéK, c’est-à-dire qu’il était le chef du groupe d’une douzaine d’élèves chargé, entre autres, de faire respecter les traditions. Il avait ainsi succédé, à ce poste entre autres, à Schlumberger (X36, Compagnon de la Libération), Raymond Sainflou (X38, MpF), Georges Thierry d’Argenlieu (X39, MpF).

Parmi ses camarades était François Vaultrin, MpF fin 44, avec qui il s’était évadé de France.

L’une des prérogatives de cette « Kommiss » était d’organiser le bizutage, appelé Bahutage. Un X41, m’a récemment raconté « il était terrible ».

Claude Cheysson à l'X
Claude Cheysson, au centre, avec le képi de Général.

 

Les ONG, les syndicats et le Parlement européen dans la politique de coopération au développement

Témoignage de Bernard Ryelandt

Pour situer cette contribution, je précise qu’à la Commission européenne, j’ai été à la Direction Générale(DG) du Développement à partir de la fin 1973 (c’est à dire peu après l’arrivée de Claude Cheysson au poste de Commissaire au Développement). Je n’ai jamais été membre d’un cabinet, mais, sous plusieurs commissaires successifs, en particulier Cheysson, j’ai souvent été étroitement associé aux discussions dans son bureau et à la préparation d’événements ou d’orientations politiques. J’ai donc connu de près Claude Cheysson.

Si mes souvenirs sont exacts et d’après ce qui m’a été rapporté, c’est en septembre 1973 que Cheysson a réuni l’Etat-major de la DG du Développement pour recueillir des idées sur les nouvelles orientations souhaitables en matière de coopération. Chacun y a été de sa petite idée sur des sujets classiques tels que les priorités de développement, les méthodes de programmation, etc… Puis est intervenu Maurice Foley (directeur général adjoint, Britannique d’origine 100% irlandaise, ancien leader ouvrier et ministre dans les gouvernements Wilson des années 1960) pour exposer qu’au-delà de la technique il fallait absolument écouter et mobiliser la population européenne et les forces sociales au sujet et en faveur d’un meilleur développement. Cela visait les ONG, les syndicats et le Parlement.

Cheysson lui a donné entièrement raison, partageant ce désir d’ouverture vers l’extérieur. Il a dit à Foley de s’occuper de lancer cela pour les ONG et les syndicats (en fait c’est au niveau de Cheysson lui-même que l’essentiel des contacts ultérieurs avec les syndicats s’est passé) ; lui-même, en tant que responsable politique, se réservait le Parlement.

Les ONG

Après des contacts variés avec les ONG, puis un démarrage modeste avec des moyens limités (grâce à l’appui du Parlement), les cofinancements avec les ONG pour des actions de développement ont pris une ampleur considérable. Ils ont été étendus à des campagnes de mobilisation de l’opinion européenne et de pressions sur les gouvernements en vue de faire plus et mieux pour le développement. Quand j’ai été moi-même en charge de la gestion des cofinancements dans les années 1990, on a atteint des budgets annuels de 200 millions d’euros, sans compter d’autres ressources budgétaires, parfois importantes, accessibles dans certains cas aux ONG dans l’approche de développement décentralisé. Cela a continué à croître dans la suite.

Conformément aux vues de Cheysson et Foley, cette politique a été bien au-delà d’un simple appui financier aux ONG. Malgré parfois des tirages inévitables, une étroite coopération a été instaurée entre les ONG et la Commission pour échanger des idées sur les priorités et les modes de faire, créer des convergences d’action dans le respect de l’indépendance de chacun, etc…

Les ONG ont parfois exercé une influence appréciable sur les politiques, en mobilisant l’opinion, pour augmenter ou à tout le moins limiter la réduction des budgets de coopération, pour améliorer la qualité des aides et pour renforcer les possibilités des ONG des pays en développement. Elles ont notamment eu un impact significatif sur le Parlement européen, sensible aux opinions publiques ; celui-ci a répercuté politiquement ces pressions sur la Commission et le Conseil et a constamment défendu les demandes budgétaires de la Commission en matière de développement, menacées par le Conseil, y compris bien sûr pour les cofinancements ONG.

Petite anecdote montrant que tout ceci entrait bien dans les schémas politiques de Cheysson. Un jour il m’a dit en riant plus ou moins ce qui suit : « j’en connais qui ne seront pas heureux quand dans cette affaire ils auront sur le dos ces chrétiens progressistes ».

Les syndicats

Il faut se souvenir que, dans les premières périodes de la construction européenne, les syndicats étaient souvent réticents, voire hostiles, à cette « Europe des marchands » sans perspective sociale. De plus, bien souvent, la coopération était vue comme détournant des moyens financiers rares au profit de pays tiers et, sur le plan commercial, comme soutenant une concurrence extérieure au détriment de l’emploi en Europe.

Il était donc essentiel de modifier les perspectives de ces deux points de vue et d’identifier les convergences possibles à certaines conditions si les syndicats devenaient parties prenantes. Nous avons donc organisé de nombreux contacts qui se sont généralement avérés positifs,

  • D’une part avec la CES (Confédération Européenne des Syndicats) : ici un rôle central a été joué par Jan Kulakowski. D’origine polonaise, cet ancien mineur belge est devenu secrétaire général adjoint de la CES. C’était un homme de grande vision, notamment pour les affaires européennes (d’ailleurs, après la chute du régime communiste, il est devenu ambassadeur de Pologne à Bruxelles, puis ministre et a joué un rôle central dans les négociations d’adhésion de son pays). Les discussions avec lui étaient très intéressantes et positives.
  • D’autre part au niveau national. En ce qui concerne en particulier les syndicats français, les contacts ont été très chaleureux avec la CFDT, également avec FO, nettement plus froid avec la CGT anti-européenne.
  • C’est à l’occasion d’une visite à un syndicat à Paris qu’il s’est produit un épisode curieux illustrant une autre époque de la carrière de Cheysson et ses rapports avec les pouvoirs français. Le matin nous avons fait ensemble le trajet depuis Bruxelles en voiture, partant d’ailleurs anormalement tôt. Pendant le trajet, il s’est mis progressivement, sans raison apparente, à évoquer le moment où, au Vietnam dans les années 1950, il avait publiquement attaqué la politique française à l’égard de l’empereur Bao Dai. Cela lui avait valu de gros ennuis. Arrivés à Paris, il m’a dit : je dois d’abord aller à Matignon, on se rejoint chez les syndicats . C’est alors que je me suis souvenu qu’il venait d’attaquer le gouvernement français sur je ne sais plus quel sujet sensible ; il allait se faire tirer les oreilles, d’où ses souvenirs, d’autant plus qu’à ce moment sa reconduction au poste de commissaire était en jeu. Quand il m’a rejoint ensuite, il était parfaitement détendu…

Le Parlement européen

Ici je me bornerai à évoquer deux aspects auxquels j’ai été associé personnellement.

Cheysson avait sa doctrine bien établie au sujet des relations avec le Parlement ; elle a d’ailleurs fait l’objet de discussions initiales. Elle comportait 3 aspects :

  1. il fallait aider le parlement à jouer son rôle dans la construction européenne et créer une alliance entre les deux institutions européennes plus axées sur l’intérêt européen commun vis-à-vis d’un Conseil préoccupé par les intérêts nationaux – cela postulait un climat de franchise et d’égalité entre les deux institutions, en donnant au parlement l’accès aux informations nécessaires qui lui manquaient souvent par ailleurs ;
  2. il nous fallait l’appui du parlement pour obtenir les budgets régulièrement massacrés par le Conseil – cela supposait un minimum de convergences de vues entre les deux institutions ;
  3. nous voulions exposer les fonctionnaires de la Commission à l’air extérieur,  aux vues du public exprimées notamment par le parlement.

Cette doctrine a constamment été appliquée et a permis une excellente collaboration. S’il nous arrivait d’exprimer notre désaccord avec des parlementaires, ils reconnaissaient que cela se plaçait dans un climat d’ouverture et de franchise et que notre avis méritait d’être écouté. Un jour, en commission du développement du parlement, j’ai eu l’occasion (je ne sais plus pourquoi) d’exposer cette doctrine volontariste. Les parlementaires ont été stupéfaits et ravis. Il faut dire que tous les départements de  la Commission ne pratiquaient pas la même politique…

Lors des sessions plénières à Strasbourg, Cheysson invitait systématiquement à déjeuner et dîner des parlementaires et ministres de tous les partis et de tous les pays. C’était organisé par Danièle Josselin, sa chef de cabinet adjoint, avec ma participation. J’ai été invité à beaucoup de ces repas et cela a été passionnant pour moi. On discutait très librement de toutes sortes de sujets et cela a permis de créer un réseau de contacts très divers, utiles et intéressants..

Quelques anecdotes… Cheysson sur le vif !

Par Charles Crettien.

NEW YORK. OCTOBRE 1981

Le service de presse et d’information de l’Ambassade de France aux Etats-Unis était installé à New York.  Héritier du « Bureau de la France Libre » créé en 1942 par Charles de Gaulle qui souhaitait  avoir une représentation aux Etats-Unis alors que Washington entretenait encore des relations diplomatiques avec la France de Vichy, ce service avait pour mission d’expliquer par tous les moyens disponibles, presse écrite, radio, télévision, conférences à travers les 50 états, la politique engagée par le Président de la République française.

Nommé Ministre des Relations Extérieures en 1981, Claude Cheysson s’est rapidement soucié de changer le responsable de ce service, non pas parce qu’André Bayens, Ministre Plénipotentiaire, avait failli à sa mission, loin de là, mais tout simplement pour avoir une voix nouvelle, crédible, pour expliquer aux Américains qui, eux, avaient choisi Ronald Reagan comme Président, qui était François Mitterrand et quelle était sa politique.

C’est Alain Savary que je connaissais depuis 1967 qui a conseillé au Ministre de me confier cette mission. Chose faite et, en octobre 1981, je quittais Chicago où j’étais Consul Général pour m’installer à New York.

« Vous connaissez la politique qu’entend mettre en œuvre François Mitterrand. Allez-y. Ne me demandez pas de consignes tous les jours et si ça ne va pas je vous trouverai un successeur… »

Du Claude Cheysson, net et précis !

DETROIT. NOVEMBRE 1982

En tournée dans le cadre de mes fonctions dans le Midwest  j’ai participé à un débat sur le conflit israélo-palestinien au cours duquel j’ai été amené à dire qu’une conférence internationale pour tenter de ramener la paix au Proche Orient n’avait de chance d’aboutir que si l’Union Soviétique y participait.

Le lendemain de ce débat le quotidien « Detroit News » écrivait :
« Un diplomate français affirme que l’Union Soviétique doit participer à une  conférence internationale sur le Proche Orient ».

La position française n’avait jamais été aussi clairement définie en public,  surtout aux Etats-Unis.  J’ai aussitôt prévenu Monique Vignal, conseiller au cabinet du Ministre, de mes propos qui auraient pu être jugés comme prématurés. C’est Claude Cheysson, lui-même, qui m’a rappelé au téléphone quelques heures après :
«  Vous avez eu raison. Je vais d’ailleurs dire la même chose tout à l’heure à la presse »

Compréhension, voire indulgence, d’un grand ministre sûr de sa politique !

Aux NATIONS UNIES à NEW YORK. OCTOBRE 1984

Montant dans l’ascenseur vers la salle de presse nous tombons nez à nez avec le Ministre algérien des Affaires Etrangères : «  Tiens Crettien vous êtes à New York ?… » et à Claude Cheysson : « On n’oublie pas un diplomate arabisant à l’ambassade de France à Alger après l’indépendance… »

Claude Cheysson : « Vous étiez quand en Algérie ? »

«  Dès 1967, c’est Pierre de Leusse qui m’avait fait venir dans son équipe… Vous vous souvenez de de Leusse, cet ambassadeur qui avait démissionné avec fracas de son poste à Tunis pour protester contre l’arrestation de Ben Bella et de ses compagnons… Alain Savary, aussi, avait démissionné. Il était ministre des affaires marocaines et tunisiennes dans le gouvernement Guy Mollet. Vous vous souvenez ? »

Claude Cheysson : « Il y avait eu un troisième responsable à remettre sa démission ! »

« … ? »

Claude Cheysson : « Oui…moi… »

« Ah, Monsieur le Ministre, je ne le savais pas … Ma carrière est brisée !!! »

On pouvait se permettre ce genre d’exclamations avec un Ministre que l’on servait avec enthousiasme.

NEW YORK. OCTOBRE 1984

Pendant son séjour à l’Assemblée Générale des Nations Unies, Claude Cheysson avait été sollicité par une grande chaine de télévision américaine pour une interview à laquelle il accordait, à juste titre, une importance toute particulière.

Installé dans l’antichambre du studio d’enregistrement, avec Monique Vignal et moi, le Ministre s’impatientait devant une attente qu’il estimait trop longue. Ce qui, soit dit en passant, lui arrivait souvent…

Un journaliste était venu nous rassurer : « Nous en avons bientôt fini avec Monsieur Baldwin… »

Claude Cheysson : « Evidemment ce sont toujours les chauves qui gagnent ! »

Cette  traduction  inattendue, voire inhabituelle dans la bouche du ministre, avait déclenché un fou rire parfaitement incontrôlable et nous étions, tous les trois, à tenter en vain de récupérer un peu de calme. Je commençais à m’inquiéter très sérieusement  me demandant  comment, dans ces conditions, allait se passer cette interview…

« Monsieur le Ministre, s’il vous plait, Nous passons dans le studio… »

En un instant, le calme et le sérieux furent de retour.

Claude Cheysson, un grand ministre mais, aussi, un homme qui pouvait être rattrapé par un fou rire  tout simplement bête pour une remarque tirée par les cheveux… C’est ainsi que les hommes vivent…

WASHINGTON. NOVEMBRE  1984

Claude Cheysson, après une réunion chez l’Ambassadeur Vernier Paliez :
« Crettien, j’ai des emmerdes à Abou Dhabi… Je vous fais confiance pour les régler. Je vous ai proposé pour le poste d’Ambassadeur dans les Emirats. »

 Voilà comment le Ministre des Relations Extérieures m’a appris ma première nomination à un poste d’ambassadeur. On ne pouvait que lui faire confiance après une telle définition de ma future mission.

Les « emmerdes » ? Elles étaient de taille… les rétro- commissions dans le contrat de vente de 36 avions Mirage 2000. Je n’ai pu que réamorcer le dialogue avec l’Emir, le contentieux avec Dassault n’a jamais été vraiment oublié jusqu’à nos jours…